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Sous la réforme des retraites, la mort du médecin du travail

Par Dominique Huez, médecin du travail, président de l’association santé et Médecine du Travail (SMT).

Au détour d’un amendement déposé à la sauvette, sans débat démocratique et dans un cadre déjà sujet à un immense chambardement social, celui de la réforme des retraites, nous assistons tout simplement au passage de la médecine du travail à la médecine d’entreprise. La médecine du travail disparaît comme institution chargée exclusivement de prévenir les altérations de la santé du fait du travail.

Prévenir, veiller et alerter sur les effets du travail sur la santé, c’était l’objectif de la médecine du travail défini par la fonction du médecin du travail qui en est chargé personnellement depuis 1946. Le service de santé au travail (SST) nouvellement défini par cette loi va mettre à la disposition des obligations de prévention spécifique des employeurs une partie de ses ressources, qui n’auront plus pour objet exclusif la santé au travail des salariés ; nouveau L.4622-1-1. Comment les médecins du travail pourront-ils exercer dans cette injonction paradoxale ? On passe de la prévention de la santé à la gestion des risques pour l’employeur. C’est dorénavant le SST qui va limiter l’action du médecin du travail via sa direction patronale. La mission du SST et celle du médecin du travail sont maintenant contradictoires entre elles.

L’objet de la « médecine du travail » comme institution, indépendante de la contrainte économique des entreprises, est juridiquement effondré : – la spécificité de devoir exclusivement prévenir et dépister les altérations de la santé du fait de leur travail, comme moteur de l’action des différents professionnels du SST, n’existe plus ; seul le médecin du travail conserve une définition personnelle de sa mission ; – l’exercice du médecin du travail est maintenant isolé dans un service avec lequel il peut être en conflit d’intérêts ; sa responsabilité est diluée et subordonnée, sa mission risque de perdre sens ; – l’équipe médicale – médecin du travail, infirmier du travail – n’a aucun cadre juridique pour se déployer : pas de département ou de « service de médecine du travail » dans le SST, alors qu’y est créé un « service social » ; nouveau L. 4622-7-1. Comment justifier l’absence de département médical dans un SST si on prétend assurer l’indépendance d’infirmiers du travail ? – l’action spécifique du médecin du travail est subordonnée aux employeurs. Ainsi, le directeur d’un SST la subordonne à la contrainte économique des entreprises ; nouveau L. 4622-1-2 et L.4624-2. La commission de projet est le cheval de Troie de l’opération ; nouveau L. 4622-7-4. La « démarche de progrès » du Cisme avait expérimenté cette voie. Le directeur d’un SST organisera et encadrera les actions de prévention du médecin du travail. Sinon, un IPRP (intervenant en prévention des risques professionnels) qu’il commanditera directement répondra à une demande de prévention subordonnée ; nouveau L. 4644-1. Le médecin du travail doit donc se limiter à diminuer ou réduire les risques ; nouveau L. 4622-1-1, l’ancien L. 4622-2 est abrogé. Le gouvernement ne veut pas que le médecin du travail nomme les risques que les employeurs ne veulent pas voir ! Les rédacteurs du texte font preuve d’une cynique et sinistre ironie puisqu’ils imposent (nouveau L. 4624-2) que le directeur du SST soit le garant de l’indépendance du médecin ! Ne conviendrait-il pas, dans le même esprit, de confier les campagnes de lutte contre le tabagisme aux buralistes ?

– Il n’y a donc plus de pluridisciplinarité pour la prévention de la santé au travail, mais la structuration d’une offre de service préventif aux employeurs ; nouveau L. 4624-2 et L. 4622-7-4. Où sont donc les moyens de l’indépendance des médecins dans cette relation exclusive ? Que deviennent, après ce texte, les moyens de la protection constitutionnelle de la santé au travail que les médecins du travail avaient pour mission d’assurer ?

Indépendance contrainte, moyens inexistants, injonctions paradoxales, rétrécissement des marges de manœuvre, contrôle social anéanti, combien de temps s’écoulera-t-il avant la mutation de la médecine du travail en médecine d’entreprise de sélection médicale de la main-d’œuvre et d’appui en management pour une gestion des risques du seul point de vue économique ? Pourquoi ce projet de destruction de la spécificité exclusivement préventive de la médecine du travail ? Parce que le patronat pense qu’il faut faire disparaître un témoin médical gênant. Alors on ne forme plus de médecins du travail. Des infirmières du travail sans statut n’exerceront même pas dans un secteur médical préservé du SST avec le médecin du travail. C’était le préalable à leur déploiement ! Les conditions d’une médecine exerçant exclusivement pour l’entrepreneur sont créées. La médecine du travail, qui devait voir son cadre clarifié (aptitude, gouvernance, indépendance de chaque professionnel, responsabilité), se dissout sans bruit dans la raison économique. La prise en charge médicale de la santé des travailleurs n’est plus sa priorité. L’exécutif qui a rédigé ce texte et les députés qui l’ont ratifié et demain les sénateurs qui le feraient prennent, par conséquent, une lourde responsabilité personnelle dans ce qui sera un désastre de santé publique comparable, dans ses effets, à celui de l’amiante.

 

Dominique Huez

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