LA VIE PRIVEE DU SALARIE
Les faits sont là : l'activité sur l'ordinateur laisse des traces. Et l'employeur risque de se laisser entraîner par des pratiques abusives. Consciente de son rôle de gardien des libertés individuelles, la Cnil (Commission nationale Informatique et Libertés) publie un rapport sur le thème de la cybersurveillance.
La jurisprudence apporte quelques éclairages complémentaires, à exploiter néanmoins avec modération : assez récente, elle n'est pas encore stable. Elle certifie toutefois que l'employeur doit avoir prévenu ses employés de la mise en place d'outils informatiques de surveillance s'il veut utiliser des informations numériques à caractère privé dans un conflit avec l'un de ses employés. Cette surveillance ne saurait s'exercer pour le plaisir : « Les moyens de surveillance mis en oeuvre doivent être proportionnels à l'activité du salarié et à ses responsabilités dans l'entreprise », rappelle l'avocat Bertrand Nouel. De plus, le courrier électronique est considéré en France comme une correspondance privée. Il ne peut donc être ouvert impunément.
L'employeur peut surveiller l'usage des outils informatiques à condition d'avoir prévenu les salariés et les délégués du personnel (article L. 432-2-1 du Code du travail et article 121-8).
C'est un peu une redite de l'arrêt Nikon d'octobre 2001. Début août 1999, un dessinateur de la société Nycomed Amersham Medical System (aujourd'hui CathNet-Science), spécialisée dans le matériel et les accessoires médicaux, était licencié pour faute grave. Motif : l'employeur avait trouvé sur son ordinateur un dossier personnel contenant des documents sans aucun rapport avec son travail. Une fouille motivée par la découverte de photos érotiques dans le tiroir du bureau de ce même employé, absent à ce moment-là.
L'affaire va aux prud'hommes. Et en appel, la validité du licenciement est confirmée. Mais le 17 mai dernier, la cour de Cassation a cassé cette décision. L'affaire est renvoyée devant la cour d'appel de Versailles où il sera décidé du sort du salarié, réintégration ou indemnités, puisqu'il y a eu licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dans l'affaire Nikon, un salarié avait lui aussi été licencié pour faute grave parce qu'il exerçait une activité parallèle avec les outils informatiques fournis par son entreprise. L'employeur s'en était aperçu en consultant des documents étiquetés « personnels » sur le poste du salarié. Au final, la cour de Cassation avait annulé la validation en appel du licenciement.
Dans les deux cas, une même chose est en jeu : le droit du salarié à une vie, à une sphère privée, même au sein d'une entreprise. Cette sphère privée était d'autant moins difficile à circonscrire que les documents ayant servi à licencier les deux salariés se trouvaient dans des fichiers et des dossiers intitulés « personnel ».
L’article L 432-2-1 dispose en son alinéa 3 :
« le comité d’entreprise est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en œuvre dans l’entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés. »
B/Le régime juridique applicable aux logiciels de contrôle :
Les principes de base doivent être respectés, à savoir : information du personnel, information du comité d’entreprise, respect du principe de proportionnalité. S’agissant d’un système informatisé, la loi du 6 janvier 1978 s’applique. La chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcé en ce sens le 7 juillet 1998 concernant l’introduction dans l’entreprise de ces procédures particulières de contrôle.
Déclaration à la CNIL :
Les articles 15, 16 et 17 de la loi du 6 janvier 1978 imposent une obligation de déclaration préalable. Cette obligation concerne tous les traitements d’informations nominatives. (lien vers la déclaration préalable)
Obligation d’information des salariés :
Dès lors qu’une procédure de surveillance est mise en place, l’information des personnes concernées apparaît comme un principe essentiel, que ce soit sur le fondement de la loi Informatique et Liberté que sur le droit du travail.
Informations des salariés :
Le code du travail en fait une formulation dans l’article L121-8 : Aucune information concernant personnellement un salarié ou un candidat à un emploi ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à al connaissance du salarié ou du candidat à un emploi. Si l’on en croit les arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation du 22 mai 1995 et du 14 mars 2000 n°98-42.090, sans cette information préalable, l’employeur ne pourrait se prévaloir d’un enregistrement présenté en vue de prouver la faute d’un salarié.
Information du comité d’entreprise : L’article L 432-2-1 dispose en son alinéa 3 que : le comité d’entreprise est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en œuvre dans l’entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés.
Un salarié avait été licencié pour faute grave suite à la découverte par son employeur (la société Nikon) de messages personnels sur l'ordinateur mis à sa disposition par la société. La Cour de cassation a donné raison au salarié qui contestait son licenciement, en posant le principe que l'employeur ne peut, sans violer l'intimité de la vie privée du salarié et le secret de ses correspondances, " prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur ".
Vu l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 9 du Code civil, l'article 9 du nouveau Code de procédure civile et l'article L. 120-2 du Code du travail ;
Attendu que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l'employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur ;
13. Le droit au respect de la vie privée du salarié est assuré de façon particulière par l’affirmation du droit au secret des correspondances [36] : l’article L. 226-15 du Code pénal en particulier prohibe « le fait, commis de mauvaise foi, d’intercepter, de détourner, d’utiliser ou de divulguer des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie des télécommunications ou de procéder à l’installation d’appareils conçus pour réaliser de telles interceptions ».
Dans le champ étroit défini par l’article, l’employeur conserve la possibilité de tracer les communications de ses employés, l’infraction n’étant constituée que dès lors qu’il aura pris connaissance du contenu de celles-ci. Cela a d’ailleurs été confirmé récemment dans le cas d’utilisation de messageries de nature électronique, technologie qui offre aujourd’hui le plus haut degré de traçabilité en ce qu’elle permet de connaître l’adresse du destinataire, l’heure de l’envoi, et jusqu’au contenu du message : dans une décision remarquée [37], la Cour de cassation sous le visa des textes européens [38] a indiqué que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée [39], que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances, et que l’employeur ne peut dès lors, sans violation de cette liberté fondamentale, prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur… Cela signifie qu’il faut distinguer les correspondances émises, protégées par le secret, de l’utilisation des moyens de télécommunications qui les génère. L’intervention de l’employeur ne pourrait donc se situer que sur le procédé qu’il met à disposition de ses salariés pour l’exécution de leur travail.
14. Il est délicat ici de tracer la frontière entre l’utilisation technique d’un support et son utilisation concrète : l’employeur peut constater par exemple que des coups de téléphone sont passés depuis l’entreprise vers des numéros a priori étrangers à l’activité professionnelle, mais ne peut s’en assurer en les enregistrant. Le critère semble alors être celui de la finalité de l’utilisation des technologies, approche abstraite qui passe par une interprétation des traces. Selon l’indication fournie par l’infrastructure technique, l’employeur pourrait s’en servir (ex. : un temps de connexion à internet excessif [40]) mais dans une certaine mesure seulement (impossibilité pour l’employeur de connaître, révéler ou faire état des centres d’intérêt du salarié qui pourrait être indiqués par les sites web visités).