Les « plans de départs volontaires » mis en place par de nombreux groupes rencontrent un succès grandissant chez les ingénieurs et les cadres, notamment dans les entreprises où le climat social et le respect du travail ont été ruinés par un management voué à la rentabilité financière.
Chez Hewlett-Packard (HP), ce fut, l’an dernier, une véritable ruée vers la porte de sortie lorsque la direction lança un appel au volontariat dans le but de transformer en départs volontaires la suppression effective de 800 postes de travail. L’appel a reçu un écho a priori inattendu : 213 cadres se sont inscrits au guichet départ alors que, dans cette catégorie, 78 postes étaient promis à la casse. Un « engouement », notamment parmi les anciens de la « boîte », allant jusqu’à menacer la stabilité de cette entreprise de haute technologie informatique. Du coup, le nombre de suppressions de postes a été ramené, en janvier dernier, à 670 ! Il n’en demeure pas moins que dans la branche industrielle HP-CCF du groupe américain qui affichait, pour 2009, un bénéfice net de 7,7 milliards de dollars, le nombre de volontaires au départ se monte encore à 329 alors que 249 suppressions de postes étaient inscrites au programme. Interrogé par l’AFP, Didier Pasquini, délégué CFE-CGC, a ce commentaire désabusé : « Les gens sont fatigués par ces plans sociaux à répétition (2001, 2003, 2006) et par un sentiment de menace qui fait qu’ils se préparent toujours au pire. »
Ce sauve-qui-peut des salariés, souvent les plus qualifiés, n’étonne pas Rob Rowlands, délégué FO et ingénieur à Sophia Antipolis où l’unité HP, spécialisée dans le développement de logiciels, a perdu la moitié de ses effectifs, passés en quelques mois de 240 à 120 ingénieurs et techniciens. « Depuis deux, trois ans, l’ambiance de travail s’est fortement dégradée, explique-t-il ; avant, un ingénieur avait une certaine liberté de décision, maintenant il est sous la pression permanente d’un manager qui va toucher une prime (équivalente à six mois de salaire parfois) pour lui faire atteindre des objectifs qu’il a fixés. Lui-même n’aura pas de prime s’il reçoit une mauvaise note à la fin de l’année. Beaucoup de cadres sont dégoûtés par ces méthodes, il y a un certain désenchantement général et c’est pourquoi ils préfèrent partir lorsque l’occasion se présente. D’autant plus que, pour les plus anciens, c’est financièrement intéressant. » L’indemnité de départ chez HP varie en effet, selon l’ancienneté, de 30 000 à 400 000 euros, à laquelle s’ajoutent un congé de reclassement rémunéré ainsi que des aides financières à la création d’entreprise et à la formation. Ce rush vers la sortie ne touche cependant pas que les multinationales pleines aux as. Le quotidien Ouest France rapporte les propos de Didier, cinquante-quatre ans, volontaire pour quitter l’entreprise Trelleborg de Nantes, un sous-traitant de l’automobile, après trente-cinq ans de bons et loyaux services : « Je ne veux pas finir jeté comme un torchon alors la seule solution c’est de gérer mon départ. » Le délégué local de la CFDT, Michel Bourdinot, en tire un enseignement pour la direction : « Elle devrait s’inquiéter, se rendre compte que les gens ne sont pas bien dans l’entreprise. »
Pas de souci de ce point de vue chez PSA Peugeot Citroën qui a vu, durant le premier trimestre de l’an dernier, quelque 5 700 employés, toutes catégories confondues, prendre d’assaut le guichet des départs alors que la direction n’envisageait la suppression que de 3 550 postes de travail pour abaisser sensiblement la masse salariale et gagner 20 % de compétitivité. « Un succès », titrait alors le quotidien économique les Échos, qui voyait disparaître du même coup de ses colonnes l’expression « licenciement économique ».
Il est le plus souvent remplacé par l’acronyme GPEC (prononcer gépèque pour gestion personnelle de l’emploi et des compétences), nettement plus glamour comme arme idéologique. C’est dans ce cadre-là que s’inscrivent désormais les plans de départs volontaires, lesquels représenteraient aujourd’hui plus de la moitié des plans de réduction d’effectifs. Exonérés de charges sociales depuis 2008, ils apparaissent parfois comme des plans de licenciement « en douceur », intéressant, notamment, les quinquagénaires proches de la retraite.
Ce sont plusieurs GPEC qui sont, par exemple, actuellement en discussion chez Schneider Electric, où la direction cherche à se débarrasser de 3 000 salariés d’ici à 2011, 1 500 à la production et 1 500 dans les structures. 700 volontaires au départ se sont déjà manifestés, pour beaucoup, comme chez HP, des anciens qui n’ont que quatre ou cinq ans « à tirer » avant la retraite ou des jeunes commerciaux qui espèrent trouver mieux ailleurs. La plupart des volontaires, comme chez HP, sont des salariés qui ont fait des études supérieures, occupent des postes d’encadrement et qui étaient passionnés par leur métier. « Étaient », car, ainsi que le souligne Antoine Marchèse, délégué syndical central de la CGT, « maintenant que la finance est reine par les fonds de pension, les décisions sont prises au bout du monde et les cadres en sont réduits à gérer des tableaux Excel ! ». Ce ne sont donc pas des obsédés du gros chèque mais avant tout des écœurés d’un travail de plus en plus déshumanisé.
Reste à savoir ce qu’il advient de ces volontaires qui sont sortis du bois mais dont la demande est refusée, soit par leur direction, soit par les services du ministère du Travail, dans le cas d’une rupture de contrat à l’amiable, comme ce fut le cas récemment, dans les Hauts-de-Seine pour des ingénieurs et des cadres d’IBM. Chez HP, ils auront droit à un entretien individuel avec la direction des ressources humaines. À l’issue de quoi, selon François Godard, de la CFDT, « il ne leur restera pour choix que de démissionner ou de poursuivre leur mission chez HP ». Dépression assurée !
Philippe Jérôme
Repères :
- 57 % des cadres se disent « très ou assez stressés » au travail, 49 % « manquent de moyens » et 28 % estiment « qu’on exige toujours plus (d’eux) », selon un sondage Anact 2009.
- Un cadre de plus de 50 ans, volontaire au départ a droit à un congé de reclassement de 9 à 10 mois, à des stages de formation rémunérés et à trois années d’Assedic.
- 40 % des départs volontaires remplacent l’ancien système des préretraites.
- 79 % des Français souhaitent prendre leur retraite « à 60 ans ou avant ».
- Pour le seul département d’Ille-et- Vilaine, 3 800 demandes de rupture de contrat à l’amiable ont été demandées, et 3 400 acceptées par la direction du travail.